Lors des rencontres littéraires en wolof intitulées « Peñcum Maam Yuunus Je?, li xalimay wax » (l’arbre à palabre Younouss DIENG-ce que les livres disent), tenues le jeudi 23 janvier 2025, sous l’égide de l’Association « Fonk suñuy làmmin », à la Place du Souvenir africain, le Dr Abdourahmane DIOUF, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a déclaré que :
«…C’est la société qui est en avance. Ce que le législateur, l’Etat, doit faire, c’est de se conformer à cette forte demande sociale et changer la législation pour que le français, le wolof et les autres langues nationales aient la même signification à l’Assemblée nationale… »
Il a été rapporté que Monsieur le Ministre Abdourahmane DIOUF a également annoncé qu’il allait « rencontrer les partisans de l’érection de l’Académie des langues nationales…J’ai accepté de les recevoir. On va faire une évaluation. Et sur la base de cette évaluation, nous discuterons avec eux et nous prendrons les réformes nécessaires. Nous allons essayer de voir comment faire en sorte que nos langues nationales prennent encore une autre envergure dans la République sénégalaise. »
Monsieur le Ministre Abdourahmane DIOUF faisait ainsi « un plaidoyer en faveur des langues nationales. »
Bravo à Monsieur le Ministre. Dieu l’entende pour cet engagement solennel que nous saluons, pour n’être pas très usuel de la part des autorités étatiques sénégalaises. Toutefois, il semble nécessaire de rappeler que le législateur sénégalais, en ce qui le concerne, a fait son devoir il y a des lustres, s’agissant de la question relative au traitement des langues.
En effet, après que la Loi constitutionnelle n° 59-003 du 24 janvier 1959 qui consacrait le français comme langue officielle de la République du Sénégal a été promulguée, puis la deuxième Loi constitutionnelle n° 60-045 du 26 août 1960 qui n’a rien changé à cette situation, la Loi n° 78-060 du 28 décembre 1978 portant révision de la Constitution a consacré six (06) langues nationales (le diola, le malinké, le pulaar, le sérère, le soninké et le wolof).
Vingt-trois (23) ans plus tard, la Loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 adoptée par Référendum, y a ajouté vingt (20) autres langues codifiées ; portant ainsi (sauf erreur de notre part), le nombre total de langues qui ont rang de langues nationales à environ vingt-six (26).
Mieux, le Législateur sénégalais, considérant qu’aucune de nos langues nationales n’est supérieure aux autres, a tenu à énumérer celles-ci suivant un impeccable ordre alphabétique, ainsi que cela apparaît clairement dans l’exposé des motifs de la Loi n° 78-60 du 28 décembre 1978 disposant que : « …Le nombre des langues nationales du Sénégal est ainsi fixé à 6. Comme il ne saurait être question d’établir entre elles un quelconque ordre hiérarchique, elles sont énumérées dans la nouvelle disposition constitutionnelle selon l’ordre alphabétique. Ce sont le diola, le malinké, le pulaar, le sérère, le soninké et le wolof ».
C’est également connu sinon de tous du moins de plusieurs : un système comprenant 8 cabinets de traduction simultanée en français, diola, malinké, pulaar, sérère, soninké et wolof a été inauguré le 02 décembre 2014, grâce à un cofinancement par l’Union européenne (pour deux tiers du budget du projet, soit 450 mille euros correspondant à 300 millions de F CFA) et l’Etat du Sénégal (pour le tiers restant).
En effet, depuis cette date, les élus peuvent s’exprimer dans ce qu’il est convenu d’appeler les langues pivot. Lors de la cérémonie d’inauguration de ce système de traduction simultanée, M. Moustapha NIASSE avait, en sa qualité de Président de l’Assemblée nationale, déclaré que désormais « tout député pourra, dans l’Hémicycle, intervenir dans sa langue maternelle ou dans la langue nationale qu’il maîtrise le mieux et se faire comprendre de tous. De même, tout député sera en mesure d’écouter et de comprendre ses collègues, à travers sa propre langue ou la langue française ».
C’est donc dire que le législateur sénégalais a admirablement joué sa partition, même s’il faut augmenter le nombre des cabinets de traduction, en raison du passage du nombre des langues codifiées de six (06) à vingt-six (26).
Ce n’est donc pas la faute du législateur sénégalais si les langues nationales sénégalaises (à l’exception notable du wolof) n’ont pas « la même signification à l’Assemblée nationale » que le français. C’est plutôt aux locuteurs du diola, du malinké, du pulaar, du sérère et du soninké (pour ne parler que des langues pour lesquelles des cabinets de traduction simultanée existent depuis plus de dix ans à l’Assemblée nationale) qu’il faudrait s’en prendre.
Par contre, l’Etat du Sénégal, donc l’Exécutif, est responsable du traitement léonin entre les langues nationales sénégalaises codifiées, pour avoir conféré délibérément, depuis bientôt un quart de siècle, la préséance du wolof sur toutes les autres langues nationales ce, aussi bien dans les médias que dans l’espace public. Aussi, voudrions-nous solliciter l’intercession de Monsieur le Ministre Abdourahmane DIOUF auprès de:
1er)-Son Excellence Monsieur le Président de la République, pour l’installation d’un système de traduction simultanée en présentiel (voire à distance) au Palais de la République dans les autres langues nationales comme c’est déjà le cas pour le wolof et afin qu’il soit mis un terme au traitement inique réservé aux langues nationales sénégalaises (autre que le wolof) dans le site web lancé le 13 novembre 2024.
2e)-Monsieur le Ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, en vue de:
a)-l’égalité dans le traitement des langues nationales du Sénégal dans tous les secteurs où leur usage est requis, au prorata du nombre de locuteurs natifs de chacune d’elles;
b)-la refonte des programmes de la RTS pour mettre un terme définitif au traitement inique qu’elle réserve, dans ses programmes, aux autres langues nationales sénégalaises;
c)-la traduction des discours officiels dans toutes les langues nationales ou, à défaut, dans les six (06) premières langues à avoir été codifiées et reconnues comme telles;
d)-l’utilisation, durant les grands événements nationaux (recensements, pandémies, élections, etc.) de toutes les langues pour que chaque citoyen puisse jouir, pleinement, de son droit élémentaire à l’information ;
e)-l’exigence, par l’Etat du Sénégal, du respect par toutes les radios et télévisions privées du pays de leurs cahiers des charges, par l’inclusion des autres langues nationales dans leurs programmes respectifs, au prorata du nombre de locuteurs natifs de chacune d’elles.
3e)-Monsieur le Ministre des Infrastructures et des Transports terrestres et aériens, afin qu’un terme soit mis au traitement frustrant qu’Air Sénégal International, l’AIDB, la SENTER, « DAKAAR-DEM-DIKK » et plus récemment « SUÑU BRT » réservent à la langue Pulaar et aux autres langues nationales (à l’exception du wolof). En effet :
a)-à bord d’Air Sénégal international, c’est le français, l’anglais et le wolof qui sont les seules langues dans lesquelles l’on s’adresse aux passagers ;
b)-à l’aéroport international Blaise-DIAGNE également, l’on ne voit que du « Dal lèene ak jam », ou « Bienvenue » ou encore « Welcome », pour souhaiter la bienvenue aux passagers ; donc les mêmes langues wolof, française et anglaise ;
c)-au niveau du TER, nous sommes toujours étonnés que l’on ait choisi, contre le bon sens et la raison, ces mêmes 3 langues que sont le français, l'anglais et le wolof pour en faire les uniques dans lesquelles les passagers sont informés des différents arrêts du TER ;
d)-considérant que c’est la langue majoritaire de la zone desservie qui devrait être écrite sur les bus relevant du Service public, nous pensons que pour les lieux de destination habités majoritairement par les Ful?e (Fuuta, Madiina Gunaas, Jolof, Ferlo, ?unndu, Welingara, etc.), on devrait, en lieu et place de « DAKAAR DEM-DIKK », écrire respectivement: « FUUTA YAH-NGARTAA E JAM », « MADIINA GUNAAS YAH-NGARTAA E JAM», « JOLOF YAH-NGARTAA E JAM » (le Pulaar constituant, avec le Wolof, l’une des deux langues prédominantes au Jolof), « FERLO YAH- NGARTAA E JAM», « ?UNNDU YAH-NGARTAA E JAM », « WELINGARA YAH NGARTAA E JAM », etc. ;
e)- à bord de « SUÑU BRT » où encore ce sont le français et le wolof qui sont utilisés comme langues de communication avec les passagers. Si ce moyen de transport relève réellement du Service public, s’il est vraiment « SUÑU », le Pulaar / Fulfulde dont les locuteurs sont assurément très nombreux à Dakar et dans toutes les autres 13 capitales régionales ainsi que dans tous les 46 Département du Sénégal, devrait être du nombre de ses langues de travail !
Il va sans dire qu’en formulant ces requêtes, nous ne demandons ni plus ni moins qu'un droit que nous reconnaît la Constitution du 22 janvier 2001 de la République du Sénégal, notre cher Pays que nous aimons tous plus que n’importe quel autre dans ce monde éphémère et trompeur. Victor Hugo l’a dit : « La première égalité, c’est l’équité. »
S’agissant de la promesse faite par Monsieur le Ministre Abdourahmane DIOUF de rencontrer les « partisans de l’érection de l’Académie des langues nationales » aussi, nous voudrions, respectueusement, rappeler que le Sénégal s’est déjà doté d’une telle Académie qui a son siège au Centre Amadou Malick GAYE (ex- Centre BOPP) depuis le 24 juillet 2007.
A moins qu’il s’agisse, pour Monsieur le Ministre, de la construction d’un bâtiment devant abriter l’Académie des langues nationales.
Nous ne doutons point que la démarche de Monsieur le Ministre s’inscrit dans le cadre du renforcement de l’unité nationale et de l’édification d’une Nation riche de sa diversité linguistique et culturelle ; gage d’un développement socio-économique durable.
Il nous revient que le Professeur Marouba FALL également avait fait savoir qu’il comptait rencontrer « ceux qui œuvrent pour la promotion des langues nationales comme Alioune NDAW, Alioune Badara BEYE, le Colonel Momar GUEYE, afin qu’ensemble », ils sollicitent une audience auprès du Chef de l’Etat (en l’occurrence l’ancien Président Macky SALL), pour lui faire part de leur souhait de voir créée au Sénégal une Académie des Langues nationales.
C’était au cours de l’émission « Yitte ak Njeriñ» du 30 avril 2020, qu’anime M. Mamadou SY TOUNKARA, chroniqueur à la 2 STV.
Nous lui avions alors rappelé que cette Académie dont il appelle de tous ses voeux la création existait depuis fort belle lurette et que, par ailleurs, les acteurs “pour la promotion des langues nationales” se rencontraient dans toutes les ethnies du Sénégal. Nous ne l’avions pas non plus laissé dans l’ignorance de l’existence de milliers d’ouvrages rédigés en pulaar et ayant pour auteurs plusieurs dizaines d’écrivains Ful?e, à côté des “Cheikh Anta DIOP, Cheikh Alioune NDAW, Boubacar Boris DIOP et Sokhna Arame FALL, qu’il avait cités comme ayant « écrit des livres dans la langue nationale wolof. »
En tout état de cause, une évaluation du travail de l’Académie créée sous le magistère de Monsieur le Président Abdoulaye WADE, s’impose, ainsi que Monsieur le Ministre l’a dit, à juste titre.
Président de l’Association pour la Renaissance du Pulaar / Tabital Pulaagu Senegaal (ARP-TPS)
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